Jadis terre de paix, le Djolof, le département de Linguère surtout, est devenu l’une des zones les plus criminogènes du Sénégal. En cause, la consommation du «Dollar» et du «Musk Janna», deux parfums très forts en alcool (70 degrés), par les jeunes. Résultat : les agressions, les meurtres et les viols y sont devenus monnaie courante. Reportage !

Quand Faty Samba Sow, quadra raffinée au phrasé sophistiqué, replonge dans ses cruels souvenirs, elle a le corps tremblotant des victimes de traumatisme. Le regard apeuré et le visage envahi de tristesse. «Il y a quelques mois, j’ai failli me faire violer par de jeunes soulards», bredouille-t-elle, la gestuelle craintive. Comme plongée dans une chambre  noire, elle cherche ses mots et avance à tâtons sur le chemin sinueux de sa tragique histoire. «C’était vers 3 heures du matin. Je revenais d’une soirée culturelle au centre de Barkédji et sur le bord de la route qui mène à notre maison, il y avait trois jeunes saouls et surexcités. Quand je suis arrivée à leur hauteur, les deux se sont jetés sur moi pour me maîtriser et l’autre a commencé à ouvrir sa braguette», reprend-elle. Quelques larmes perlent de ses yeux de noisettes et enlaidissent sa belle frimousse. «Je me suis débattue, avant de crier de toutes mes forces. Et heureusement, un homme qui passait dans le coin m’a entendue et est venu à mon secours. Quand ils l’ont vu foncer sur nous, les voyous ont fui, m’abandonnant à terre.» Le pagne défait, la tête déconfite et le haut dégageant une forte odeur de parfum. «Je crois que c’était du «Dollar», glisse-t-elle. Mais, je ne suis pas sûre.» Sa seule certitude, c’est qu’elle l’a échappé belle et qu’aujourd’hui encore, elle vit le trauma de ce viol raté qui chahute sa vie de mère de famille. A jamais.

Meurtres, viols, agressions

Eaux de toilette embouteillées, avec une très forte teneur en alcool (70 degrés), les parfums «Dollars» et «Musk Janna», utilisés par les femmes pour fabriquer de l’encens, sont détournés par les jeunes du Djolof pour la consommation. Produits hallucinogènes une fois dans l’organisme, vendus à 600 FCfa, c’est-à-dire au prix d’une bière ordinaire, qui ne détient que 5­ degrés d’alcool, la consommation de ces eaux de toilettes cause d’énormes dégâts dans le département de Linguère. Jadis terre de paix, cette partie du Sénégal est aujourd’hui en proie à des scènes de violences inouïes. Meurtres, viols, agressions, incendies criminels, violences conjugales, vols… Linguère et ses environs sont devenus l’une des zones les plus criminogènes du pays. «Tout cela, à cause de la consommation des parfums (Dollar et Musk Janna) communément appelé ‘bul faalé’», explique le sous-préfet de Barkédji, Albert Sarr. «Et rien que pour l’année 2014, le tribunal départemental de Linguère a relevé 37 cas de Coups et blessures volontaires (Cbv) dus à l’alcoolisme des jeunes», confie une source judiciaire.

Jeudi, jour du «Louma» (marché hebdomadaire) de Barkédji, la grande esplanade grouille de monde. Un vent sec souffle sur le village, soulevant, par moments, la poussière. Des tentes et des tables sont installées pour l’occasion. On marchande par-ci et discute par-là. Et généralement, tous les sujets de discussion tournent autour de ce nouveau phénomène qui inquiète tout le Djolof, fief du Roi Alboury Ndiaye. Aïssatou Bâ, quinqua au teint clair et aux tempes scarifiées, fait partie de ces mamans dépassées et apeurées par la consommation des eaux de toilettes et de la violence qu’elle engendre. Elle confie, presque en cachette, de peur d’être repérée par une horde de jeunes adeptes du «Bul Faalé» qui, souffle-t-elle, sont capables des pires atrocités quand ils sont sous l’emprise de l’alcool. «Le jour du Gamou (Maouloud 2015), narre-t-elle furtivement, ils ont agressé un enfant de 8 ans en le poignardant aux côtes. Mais il a survécu. Chaque jeudi, avec la tenue du marché hebdomadaire, on assiste à des scènes de violences qui se terminent parfois par des amputations de membres ou par la mort.» Ce qui fait qu’aujourd’hui, la vente des parfums «Dollar» et «Musk» est devenue presque un tabou. Les rares commerçants qui écoulent encore ces produits se cachent comme des trafiquants.

Cirrhose du foie

Seynabou Ndiaye, dame rondouillarde à l’éclisse dépigmentée, est la seule, ou presque, parmi les commerçants de ces produits, à exhiber les parfums tant redoutés. Mais, elle s’empresse de préciser : «Je ne vends pas ces parfums à ceux qui l’utilisent pour la consommation. Je ne veux pas vivre avec ce cas de conscience. Il y a un jeune berger qui me supplie à genoux, de lui vendre ce produit, mais je refuse toujours. Ce parfum a fini de pourrir notre jeunesse», explique-t-elle, avec une fermeté de circonstance.

Vendredi, lendemain de «Louma» à Barkédji, quelques boutiques sont ouvertes. Le marché est presque vide et un jeune homme taille bavette avec deux dames devant la porte d’un bazar de cosmétiques. Salakh Fall est un boucher et connaît bien le «Bul Faalé» qui a emporté un ami, il n’y a pas longtemps. Trentenaire, svelte, il parle des parfums «Dollars» et «Musk Janna» comme on évoque la cocaïne ou l’héroïne dans les milieux aseptisés. «Ils sont dangereux. Mais, comme mon ami était devenu dépendant, il a fini par y passer», confesse-t-il, dépité. Diène Diouf, infirmier chef du poste de santé de Barkédji : «La consommation de ces parfums est la cause de beaucoup de décès dans la zone à cause de leur forte teneur en alcool. Beaucoup de jeunes malades présentent des cas de cancer du foie. Récemment, j’ai évacué un malade atteint d’une cirrhose du foie due à la consommation de ces parfums. Il a finalement succombé.»

Parents complices

A quelques mètres du marché, la Brigade de gendarmerie de Dahara. A l’intérieur, des dizaines d’armes blanches sont accrochées au mur du bureau du commandant de la brigade. Toutes ces armes ont servi et ont été récupérées lors de descentes parfois très risquées dans les hameaux des bergers. «La violence a atteint de telles proportions qu’on a fini par interdire la détention d’une arme blanche par-devers soi hors des pâturages», confie un gendarme. En parfait connaisseur du terrain, des hommes et du mobile des crimes que vit le secteur, l’homme en bleu ajoute : «Ce sont les jeunes bergers peulhs qui l’utilisent le plus, mais c’est un phénomène général. La consommation de ce parfum engendre beaucoup de violences. Nous procédons, presque chaque jour, à des arrestations. Certains pour des violences mineures, d’autres pour de graves crimes qui vont jusqu’au meurtre.» Autrement, les gendarmes butent sur de solide barrage : la légalité des produits. «On arrête les buveurs en cas d’ivresse manifeste et publique. Mais après, s’ils n’ont pas commis d’autres infractions ou crimes, ils sont relâchés parce que l’alcool n’est pas interdit au Sénégal. Et ces produits ne sont pas, non plus, prohibés», confie un gendarme de Linguère.

Pis, certains parents jouent un grand rôle dans l’enracinement de ce phénomène, en tentant de couvrir leurs enfants. «Ils (les parents) sont complices. Ils ne veulent pas qu’on reproche quoi que ce soit à leurs fils. Le sous-préfet qui était là avait fait de l’éradication de ce phénomène sa priorité. Mais les populations ont tout mis en œuvre pour son départ», dénonce la dameFaty Samba Sow de Barkédji. Mouhamed Sow, la soixantaine dépassée, est du même avis que sa voisine. «Nous sommes responsables de ce qui se passe parce que nous avons laissé faire», avoue le vieux Sow, aujourd’hui dépassé par la violence qui sévit dans la zone à cause du «Bul Faalé».

CHIMERE JUNIOR LOPY (TEXTES) &

ALIOUNE BARADA SECK (PHOTOS)

(ENVOYES SPECIAUX A LINGUERE)

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