Abdou latif Coulibaly peut très certainement être considéré comme le meilleur journaliste d’investigation de toute l’histoire du Sénégal. Il est le seul, dans la corporation, à avoir autant fait, en termes de reportages que de publications d’ouvrages. Ses papiers dans « Sud Quotidien », ses émissions sur « Sud FM », ses différents livres dénotent un talent indiscutable dans ce métier. « Wade, un opposant au pouvoir, l’Alternance piégé ? » est son premier brûlot en 2003. « Affaire Me Seye, un meurtre sur commande » (2005), « Loterie nationale sénégalaise, chronique d’un pillage organisé » (2007), « Contes et mécomptes de l’ANOCI » (2009) et « La République abîmée » (2011) sont tous des enquêtes minutieuses menées à charge contre le régime du Président Abdoulaye Wade dont il s’était fait un « opposant de conscience » farouche.
Il considérait Wade comme « la synthèse achevée de tous les défauts et vices » qui peuvent habiter un chef d’Etat. Il blâmait aussi la « faiblesse de nos institutions » ainsi que « les Sénégalais qui sont d’une étonnante passivité et d’une indifférence choquante face au déroulement de leur propre histoire. Le fatalisme de ce peuple qui s’alimente à la source d’une foi biaisée et de certaines traditions anachroniques et insupportables autorise toutes les dérives au prince et à tous les politiques ». Les politiques en prenaient aussi pour leurs grades, considérés par lui comme « une association de ravisseurs ».
Cela lui a-t-il donné le goût de la politique ? Wade disait de lui que c’était « un politicien masqué ». Il se déclare candidat à l’élection présidentielle de 2012 avant de se rétracter et de soutenir Moustapha Niasse qui sera battu dès le premier tour par Macky Sall. Ce dernier fait de Niasse son président de l’Assemblée nationale et Abdou Latif Coulibaly entrera dans le gouvernement comme ministre de la promotion de la Bonne gouvernance et porte-parole. Il produira des communiqués du Conseil des ministres que nous avions dénoncés comme truffés de fautes d’orthographe, de grammaire et de typographie.
Battu lors des élections locales de mai 2014 dans son fief natal de Sokone, il échappe à la sanction promise par le président contre tous les perdants et se voit propulser secrétaire général du Gouvernement. Nous avions dit à l’époque que Latif était illégitime pour ce poste car n’étant ni administrateur civil ni technocrate de carrière. Nous l’avions appelé à démissionner, sans suite.
Gérer des intérêts de pouvoir donne une posture autre. Il faut faire plaisir au maître des lieux et le défendre, lui et son gouvernement au risque de perdre poste et privilèges. Latif défendra le président à qui 25 ha de terres ont été attribuées à Toubacouta, clamant : « c’est une œuvre vertueuse, simple affectation de terres dans l’optique de valoriser les investissements agricoles ». Le building administratif doit être réfectionné pour la bagatelle de 17 milliards CFA, marché attribué en procédure d’urgence à un vendeur de carreaux sans aucune expérience en la matière, sans appel d’offres public : Latif, président du Comité de pilotage, loue « son intelligence et son savoir-faire qui lui ont permis de s’associer avec de grandes sociétés italiennes et européennes spécialisées dans la restauration de bâtiments et monuments historiques ». Sa propre femme est décriée comme bénéficiant de favoritisme pour un poste au ministère du Plan Sénégal émergent, le ministre Abdou Latif Coulibaly justifie cela par « ma femme a un profil très rare » alors que l’interrogation n’était pas sur le profil de la dame mais sur un éventuel conflit d’intérêt. Inutile de dire qu’il n’aurait jamais accepté rien de tout cela de Wade.
Normalement, lorsqu’un détenteur de pouvoir veut consolider et pérenniser son pouvoir, il opère des recrutements et des nominations sur la base de trois critères : la compétence technique pour garantir des résultats, les retombées en électeurs et la sécurisation en ressources diverses. Nombre de nominations du président, y compris Latif, ne répondent pas à ces critères.
Abdou Latif Coulibaly au pouvoir est une énorme perte pour nous tous. Perte d’un brillant journaliste d’investigation et perte de valeur car ce que Latif dénonçait comme opposant, Latif le défend une fois au pouvoir. Pour notre bien commun et notre intérêt général, Latif opposant vaut mieux que Latif au pouvoir.
Mamadou Sy Tounkara