D’après la version officielle du gouvernement, servie par le Premier ministre Mahammed Boun Abdallah DIONNE lors de sa conférence de presse, l’accord transactionnel avec Arcelor-Mittal s’est conclu sur un montant de 150 millions de dollars (75 milliards FCFA) ainsi décomposé : 140 millions de dollars (70 milliards FCFA) pour l’État sénégalais et 10 millions de dollars (5 milliards FCFA) représentant les débours occasionnés par les frais de procédures et d’avocats. En plus de ce montant, l’État sénégalais a obtenu du tribunal arbitral, la restitution des études techniques menées sur les mines de fer de la Falémé (où se trouve le fer, en quelle quantité et avec quelle teneur, etc.) d’un montant de 50 millions de dollars (25 milliards FCFA). Donc, selon le Ministre chargé des Finances, « c’est une enveloppe globale de 200 millions de dollars dont 150 millions de dollars en numéraires que nous avons reçue ». (C’est moi qui souligne).

Beaucoup de zones d’ombre existent et laissent croire que les membres du gouvernement qui sont jusqu’ici montés au créneau, ne disent pas toute la vérité et sont loin d’être transparents. L’affaire Arcelor-Mittal reste bien une nébuleuse comme le prouve l’incapacité des responsables de l’État à apporter des réponses claires, concises et convaincantes à plusieurs points notamment à certains que je rappelle ci-dessous.

Inscription des montants reçus dans 2 lois des finances différentes

Les 75 milliards FCA sont comptabilisés dans les livres de comptes de l’État sénégalais, toujours d’après le Premier ministre, comme suit : 45 milliards dans la première loi des finances rectificative de 2014 adoptée en octobre 2014 ; les 10 milliards pour le paiement des débours sont inscrits dans la seconde loi des finances rectificative de 2014 soumise à l’Assemblée nationale vendredi dernier ; les 25 milliards FCFA restants sont inscrits dans la loi des finances initiale de 2015.

La première question qui vient à l’esprit est celle-ci : Pourquoi inscrire le montant de la transaction en numéraires (70 milliards FCFA) reçu en 2014 dans deux lois des finances différentes (2014 et 2015) quant on sait que l’article 17 de la loi 2001-09 portant loi organique relative aux lois finances dispose que « les recettes sont prises en compte au titre du budget de l’année au cours de l’année de laquelle elles sont encaissées par un comptable public » ? Cette question est simple, mais aucune réponse satisfaisante n’est pas encore fournie. En l’absence d’une explication simple, étayée et convaincante, on peut avoir des doutes sérieux sur le respect l’orthodoxie financière dans la perception et la manipulation des fonds versés au Sénégal.

Inopportunité de négocier avant de connaître la sentence de la seconde phase arbitrale

La première phase arbitrale s’est soldée, en septembre 2013, par une sentence qui met sur le dos d’Arcelor-Mittal les torts exclusifs et entiers. S’en est suivie, en octobre 2013, l’ouverture de la seconde phase arbitrale consacrée à la demande de réparation introduite par le Sénégal. En mai 2014, une expertise d’une firme américaine, Gustavson Associates, évalue les préjudices subis par le Sénégal à 5 milliards dollars (2500 milliards FCFA). Avant que le tribunal arbitral ne prononce la seconde sentence arbitrale, le Sénégal ouvre des négociations pour aboutir, en septembre 2014, au fameux accord transactionnel de 75 milliards FCFA.

Ce n’est pas le fait de négocier qui est condamnable. Les négociations font partie intégrante de tout processus d’arbitrage. Mais, dans le cas qui nous concerne, il n’était pas opportun de le faire. Il fallait attendre que le tribunal arbitral rende sa seconde sentence fixant le montant des indemnités allouées au Sénégal, pour ouvrir, s’il y a lieu, des négociations. L’exemple de Kumba donné par le Premier ministre lors de sa conférence de presse, confirme qu’il n’était pas opportun de négocier : Kumba avait demandé 800 millions de dollars et c’est après que le tribunal arbitral lui ait accordé 98 millions de dollars que le Sénégal a demandé l’ouverture de négociations, lesquelles ont permis d’aboutir à l’accord transactionnel de 75 millions de dollars payable en 5 annuités de 15 millions de dollars chacune. Donc, le Sénégal aurait du attendre la sentence de la seconde phase arbitrale qui devait fixer le montant à lui allouer, eu égard aux préjudices subis, avant d’ouvrir des négociations. Plus troublant, est la justification de l’ouverture de négociations en 2014 par une demande écrite des avocats d’Arcelor-Mittal, formulée en juillet 2012 (c’est moi qui souligne). Pourquoi avoir attendu 2 ans pour répondre favorablement à l’ouverture de négociations ? Qu’est ce qui a changé entre temps au point que l’ouverture de négociations soit trouvée opportune ? Aucune réponse satisfaisante reçue.

Les raisons avancées pour accepter les 70 milliards FCFA ne sont pas convaincantes

D’après le Premier ministre « quand nos avocats partaient, ce qu’ils avaient demandé c’était 700 millions de dollars. Parce que, toute chose égale par ailleurs, on devait mettre bien en parallèle les deux procès concernant la même mine, et qui va être étudié par le même tribunal ». Je trouve scandaleux, voire suspect de demander 700 millions de dollars en réparation alors que les préjudices subis par le Sénégal sont évalués à 5 milliards de dollars. Le Premier ministre et le gouvernement ont tout faux en assimilant le projet d’Arcelor-Mittal à celui de Kumba. Et cela est grave.

L’Accord qui liait Kumba avec la Miferso se limitait à l’exploitation des sites miniers de la Falémé. Par contre, et cela constitue une différence fondamentale, le contrat signé par l’État du Sénégal avec Arcelor-Mittal concernait un projet intégré (c’est moi qui souligne). Ce projet intégré comprenait, outre l’exploitation des mines de fer de la Falémé, la construction d’un nouveau port à Bargny, le développement de 750 km d’infrastructures ferroviaires pour relier les sites miniers au port et, surtout, la décision de construire une unité de traitement du minerai au Sénégal ainsi que l’acceptation d’une augmentation des royalties de 3 à 5%. Au total, ce projet intégré, sans commune mesure avec celui de Kumba, allait nécessiter un investissement d’environ 2,2 milliards de dollars avec, à la clé, la création de 10 000 emplois. Par conséquent, si Kumba avait évalué à 800 millions de dollars les préjudices subis suite à la résiliation de son contrat avec le Sénégal, notre pays pouvait réclamer, au moins, 5 fois plus face à Arcelor-Mittal. Pour preuve, la firme Gustavson Associates évalue les préjudices subis par le Sénégal à 5 milliards dollars (2500 milliards FCFA). Le Premier ministre et le gouvernement se sont complètement fourvoyés sur ce point et cela mérite des explications claires qu’on attend toujours.

La responsabilité de Macky Sall indissociable de celle du Président Wade dans l’affaire Kumba

Pour se disculper, le Premier ministre et son gouvernement se complaisent à charger le Président Wade dans la gestion du premier accord intervenu entre le Kumba et l’État du Sénégal dont la rupture unilatérale vaut, aujourd’hui, au Sénégal le paiement de 75 millions de dollars. À cet égard, le Premier ministre a été peu tendre avec le Président Wade lorsqu’il déclare, lors de sa conférence de presse, « on signe avec quelqu’un (Kumba en 2004) et, en 2005, On pense qu’on est à la loterie nationale et qu’on peut gagner plus et on engage des négociations secrètes avec un autre. On a voulu spéculer. Tel est le résultat de la gestion de Wade ».

Si on examine la chronologie des faits, on constatera que le Président Macky Sall a, également, une part de responsabilité dans la rupture unilatérale avec Kumba. En effet, cet épisode a eu lieu alors que celui-ci était Premier ministre et chef du gouvernent (21 avril 2004 – 19 juin 2007) : l’accord avec Kumba était signé le 7 juillet 2004 ; les négociations secrètes avec Arcelor-Mittal ayant abouti à la conclusion d’un accord avaient débuté en mai 2005 ; l’État a demandé la résiliation de l’accord avec Kumba par une lettre du Ministre chargé des mines le 02 décembre 2005 ; la Miferso a notifié la renonciation de l’accord avec Kumba le 30 décembre 2005 ; l’accord avec Arcelor-Mittal est signé en février 2007. Donc tout s’est fait lorsque Macky Sall était Premier ministre. Soit, il était au courant de tout (je vois mal un ministre agir de façon isolée dans une affaire d’envergure nationale sans que son Premier ministre ne soit au courant), dans lequel cas, Macky Sall est co-responsable de la rupture avec Kumba qui a valu à notre pays le paiement de 75 millions de dollars. Soit, il n’était pas au courant, et cela est d’une extrême gravité. Par conséquent, l’évocation de la responsabilité du Président Wade dans la rupture avec Kumba ne saurait suffire comme argument pour faire accepter l’inacceptable avec Arcelor-Mittal. On nous doit des explications plus convaincantes.

À ce jour, l’affaire Arcelor-Mittal n’a pas encore fini de révéler tous ses secrets. Je demeure convaincu que nous sommes en face du grand scandale que notre pays n’ait jamais connu. Le Premier ministre, les Ministres des Finances et des Mines n’ont pas tout dit. J’ai l’impression qu’ils nous cachent beaucoup de choses et qu’ils adoptent la stratégie de la fuite en avant. Demain, il fera jour …

Ibrahima Sadikh NDour
ibasadikh@gmail.com

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