GUÎLE ! A ce seul nom, se redresse de fierté tout Djoloff-Djoloff. C’est en effet, près du tamarinier de ce nom : « Dakharou Guîle », au village de Mbeuleukhé, que se livra, le 06 juin 1886, entre le Bourba-Djoloff Alboury-Ndiaye et le Damel Samba Laobé Fall, la bataille décisive, désastreuse pour le Cayor où ces deux guerriers, braves comme des lions, se combattirent à outrance.
A travers ce livre, il s’agit pour Amadou Duguay Clédor instituteur du Cadre indigène à,Saint-Louis sous le régime coloniale d’écrire en 1912, cet essai sur l’histoire du Sénégal et comme il l’avoue lui-même de « relater en toute impartialité et aussi exactement que le permettent les diverses versions orales. Cela nous oblige à tracer un rapide historique de l’origine de cette lutte dont les conséquences auraient pu être d’une gravité exceptionnelle pour la tranquillité de la Colonie du Sénégal ».
Le 6 Juin 1886, Alboury Ndiaye, roi du Djoloff infligeait une sanglante défaite à l’armée du Kajoor commandée par Samba Laobé Fall. Depuis lors, cette mémorable bataille diversement commentée, a pris des proportions variables dans la bouche des détenteurs de la tradition orale des deux camps. Les griots du Kajoor, trop contents de minimiser la portée réelle de la victoire d’Alboury, essayent de lui d onner les dimensions d’une escarmouche. Ils s’ingénient à véhiculer des versions qui éludent les questions fondamentales. On les comprend. Ils ne peuvent garder dans les tiroirs de leur corpus des faits qui, de toute évidence, étalent au grand jour une honteu se conduite. De leur côté, les traditonalistes du Djoloff n’ont guère hésité à franchir les frontières du panégyrique. Alboury est sans conteste, l’incarnation même de toutes les vertus militaires. Dans un cas comme dans l’autre les calomnies et les médisances sont monnaie courante et ne manquent pas d’oreilles complaisantes.
C’est pour éviter ces outrances de la polémique que Amadou Duguay Clédor s’est attaché à écrire l’histoire de la bataille de Guîlé. Il a rassemblé les témoignages de l’époque relatifs à ce combat et tenté d’obtenir une version moins partiale du phénomène.
CAUSE DE LA GUERRE : JALOUSIE DU DAMEL SAMBA LAOBE FALL CONTRE LE BOURBA-DJOLOFF ALBOURY NDIAYE.
L’ex Damel Lat-Dior Ngoné Latyr Diop, qui était allé chercher refuge dans le Djoloff, afin d’échapper à des représailles dont il était l’objet de la part du Gouverneur du Sénégal, venait de rentrer dans le Cayor. Samba Laobé Fall, son neveu, était Damel, après l’abdication forcée d’Amary Ngoné Fall II, souverain intempérant, versatile et dénué de toute autorité.
Les uns prétendent que ce fut lui Lat-Dior qui, voulant reprendre sa fille la princesse Coumba Mandakh Diop, alors mariée à Alboury Ndiaye, roi du Djoloff, poussa le bouillant Damel à déclarer la guerre à son voisin ; d’autres affirment qu’en s’armant contre le roi du Djoloff, Samba Laobé Fall désirait le pousser à lui payer la dot de sa sœur la princesse Khar Fall, répudiée par Alboury Ndiaye ; enfin une troisième version veut que ce fut Samba Laobé Penda, cousin du Bourba-Djoloff et son successeur éventuel, qui, forcé de s’expatrier, alla demander aide et assistance à son ami, le souverain du Cayor, afin de l’aider à reconquérir le royaume de ses aïeux.
Selon Duguay Clédor, les historiens reconnaissent que Samba-Laobé Fall, monarque jeune, courageux, ambitieux et redouté, mais par ailleurs, prince envieux et jaloux, était offusqué par la vaillance éprouvée, la renommée et la puissance éclatante d’Alboury Ndiaye.
VAINCRE LE VAINQUEUR DE L’INVINCIBLE
Cela est si vrai qu’un jour, le Damel grisé de pouvoir, s’était retourné vers son armée et lui avait fait cette demande : « On reconnaît qu’Alboury Ndiaye, le Bourba Djoloff, a vaincu jusqu’à présent tous les monarques contre lesquels il a combattu ; on l’appelle l’Invincible. Mais quel nom voudrait-on bien donner à celui qui, venant à lui déclarer la guerre, le réduirait à l’impuissance en le battant à plate couture ? ». « On l’appellerait le Vainqueur de l’Invincible », lui répondirent les griots du Cayor.
Voilà assurément l’une des raisons principales, sinon la seule, qui, vers le mois de Février 1886, poussa Samba-Laobé Fall contre Alboury Ndiaye. Le Bourba était loin de s’attendre à une agression de la part du Damel, son voisin et parent. Et, pendant plusieurs mois, il ne voulut pas croire aux préparatifs de guerre de Samba Laobé Fall qui, délaissant Khandane, sa capitale, alla établir son camp à Téfane. Pour réfléchir et préparer l’assaut contre Alboury Mais, avec cette vivacité d’esprit et cette promptitude de jugement dont il était doué, Alboury perçut rapidement le danger qui le menaçait et se mit immédiatement à l’œuvre. Il envoya aussitôt des espions dans le Cayor, ces émissaires, prétextant l’avoir abandonné, allèrent chercher refuge jusque dans le camp du Damel, et, de là, lui envoyèrent des renseignements sur toutes les opérations et les projets les plus insignifiants de son ennemi….
La bataille de Guîlé, un chef-d’œuvre à lire impérativement.