La diva du Sénégal s’apprête à fêter ses vingt-cinq ans de carrière en 2015 et va sortir pour l’occasion un nouvel album. Derrière son image de femme forte, Coumba Gawlo ne se dévoile que rarement. Personnalité complexe, parfois fragile, la chanteuse à qui tout semble réussir s’est forgée au fil de nombreuses épreuves. A 42 ans, elle dirige son label, son studio et bientôt sa radiotélévision à Dakar, en plus de sa fondation pour l’enfance…
La star descend un escalier en colimaçon, dans la villa de luxe qu’elle a dessinée elle-même à Yoff, un quartier résidentiel de Dakar, avec vue sur les vagues de l’Atlantique. Assise sur son canapé de cuir blanc, elle revient sur son parcours. Et se prête, pour la première fois, au jeu des confidences… Cette artiste, aujourd’hui aguerrie, se protège depuis des années derrière une lourde carapace…
Coumba Gawlo a commencé à chanter à l’âge de 7 ans et s’est fait connaître à 14 ans. De son premier succès, Soweto, une chanson écrite en 1986 par son père, elle se souvient surtout qu’il l’a empêchée de vivre sa vie d’adolescente, avec ses amis. D’ailleurs, elle a décidé de fêter ses vingt-cinq ans de carrière en 2015, parce qu’elle compte ses années de travail à partir de 1990 seulement, l’année de ses 18 ans. En réalité, voilà bientôt trente ans qu’elle chante…
A ses débuts, cette jeune fille ordinaire prenait le bus pour aller au lycée. Remarquée tôt pour sa voix dans les baptêmes et autres cérémonies où elle chantait avec sa mère, elle a été entraînée très jeune à devenir une artiste professionnelle. Son manager n’était autre que son propre père. Un policier, mais aussi et surtout un Gawlo, issu d’une longue lignée de griots – les chanteurs traditionnels du Sénégal. Coumba Gawlo garde le souvenir de répétitions parfois difficiles.
« J’ai été élevée par lui dans le métier comme un soldat, avec beaucoup de rigueur et d’exigence. Il n’hésitait pas à me donner une gifle s’il voulait que je chante haut. » Une Gawlo doit chanter fort « , me disait-il ».
Coumba Gawlo s’est battue pour étudier. Elle est allée vers 10 ans à l’école des enfants de policiers du camp Abdou Diassé à Dakar, loin du foyer familial, à Tivaouane, une ville religieuse située à 100 kilomètres de la capitale. Elle a vécu au camp Abdou Diassé chez un collègue de son père. Devenue le souffre-douleur des aînés de cette famille d’accueil, elle a ensuite été chez une tante, qui lui faisait vendre des beignets tôt le matin au marché de Colobane.
Pata-Pata, le gros succès de 1998
De cette jeunesse pas toujours rose, Coumba Gawlo a conservé une profonde empathie pour l’enfance. Elle a lancé la fondation Lumière pour l’enfance-Coumba Gawlo à 22 ans, dès 1994. Une institution dotée de bureaux à Dakar et qui emploie neuf personnes aujourd’hui.
Son premier grand succès international, Pata-Pata, une reprise de la chanson de Miriam Makeba, fait décoller sa carrière en 1998. Cette chanson fait partie de l’album Yo Malé, produit par Patrick Bruel, chanteur français à grand succès. Un mordu d’Afrique qui l’avait repérée… Disque d’or en Belgique et de platine en France, cet album permet à Coumba Gawlo de remporter en 1999 le prix du Meilleur espoir pour l’Afrique de l’Ouest aux Kora Awards, en Afrique du Sud. « Une expérience marquante, dans ce pays où tout le monde, Noirs, Blancs, riches et pauvres, vit toujours séparé », dit-elle.
Elle y rencontre Miriam Makeba, qui l’adopte aussitôt comme sa « fille ». Elle n’en reste pas moins ancrée à Dakar et attachée à sa famille, qu’elle fait travailler dans toutes ses entreprises. Son frère, Moctar Seck, est le manager du label Sabar, qui produit un disque par an et organise ses tournées. Elle lance en 1999 une boîte de nuit, Djessy, dans le quartier de Reubeuss, qui fermera quelque temps plus tard.
« J’ai monté avec mes propres revenus cette boîte de nuit qui a mal tourné. J’étais encore très jeune, je n’avais pas les personnes de confiance qui sont autour de moi aujourd’hui. On a abusé de mon manque d’expérience avec un mauvais contrat. J’ai perdu beaucoup d’argent, mais je me suis relevée… »
Ambassadrice du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en 2006, elle a donné des concerts à travers l’Afrique. Engagée, elle sensibilise sans cesse sur les droits de la femme, l’éducation des filles et les mariages précoces. Une nouvelle fois primée aux Kora Awards de 2001, pour la chanson Sa Lii Sa Léé (« Ton ceci ton cela »), elle rencontre brièvement Nelson Mandela à Sun City. Elle tape dans l’œil de ce grand amateur de femmes : « Quand je l’ai salué, il m’a dit : » Vous êtes une belle Africaine « . J’ai répondu que j’étais très flattée que ces mots viennent de lui ! »
Le 6 mars 2010, elle réunit le gratin de la musique africaine sur une scène, à Dakar, pour un concert au bénéfice des victimes du séisme en Haïti. La chanson Afrik for Haïti, écrite par Lokua Kanza, voit des célébrités comme Youssou Ndour, Alpha Blondy, Manu Dibango, Oumou Sangaré, Ismaël Lo, Wasis Diop, Omar Pène, Sékouba Bambino et Papa Wemba entonner chacun ses couplets, dans leur langue, pour qu’on n’oublie pas les victimes. Ce single caritatif ne sortira jamais sous forme de disque.
« J’ai abandonné ce projet par moi-même, tellement j’ai été dégoûtée, confie Coumba Gawlo. Il y a eu des émissions de radio à Dakar pour casser mon projet et dire que j’aidais Haïti, mais pas le Sénégal ! Cela m’a ôté toute envie de continuer… J’ai souvent été ciblée par des gens que je ne nommerai pas, mais qui pensent qu’il n’y a qu’eux pour faire des choses au Sénégal et qui sont dérangés par mon indépendance… »
Une femme indépendante
Sur les murs de son salon, deux portraits de Marilyn et une photo d’art en grand format de Katoucha Niane. L’ancienne égérie d’Yves Saint-Laurent a disparu de façon tragique en février 2008, noyée dans la Seine. Elle faisait partie de ses amis intimes et de ses très rares confidentes, côté cœur. De douze ans sa cadette, Coumba Gawlo la protégeait et lui a servi de pilier quand Katoucha a choisi de vivre quelques années au Sénégal.
« Nous étions comme le jour et la nuit, deux caractères opposés, mais je la comprenais, se souvient-elle. Je sais ce que sont les paillettes et je connais la fragilité spéciale qu’il y a chez les très belles femmes. Des êtres qui sont pris pour des poupées, des mannequins au sens littéral du terme… Ce que ces femmes ressentent, les gens s’en fichent pas mal ! »
Dans une voiture qui mène à Tivaouane, où vit toujours une partie de la famille, la mère de Coumba Gawlo parle volontiers de sa célèbre fille. Très vite, elle étouffe un sanglot. « Si ce n’était pas nous, ses parents, Coumba serait milliardaire aujourd’hui ! Elle a sacrifié toute sa vie pour sa famille. Je prie chaque jour pour qu’elle se marie et que Dieu lui donne des enfants ! »
Plus philosophe, l’intéressée ironise elle-même sur son statut de célibataire : « Qui frappe à ma porte ? », chante-t-elle ainsi, avant d’éconduire chaque prétendant… Elle n’en parle pas trop, mais elle a eu un grand amour dans sa vie. Un homme issu d’une bonne famille de Dakar, mais emporté jeune par la mort.
« Je vis mon célibat avec foi, nous dit-elle. J’attends le jour où le bon prince charmant viendra… Et quand on me demande si des génies en Afrique entravent parfois les belles femmes, je réponds qu’il n’y a que Dieu ! Le reste n’est que fadaises… »
En attendant, celle que l’on surnomme la « diva à la voix d’or » est déjà mère : ses trois filles adoptives, Rokhaya, Dior et Perle, sont respectivement étudiante, collégienne et écolière. Elle trouve parfois sa cadette et sa benjamine endormies au pied de son lit, dans sa chambre, quand elle rentre d’un concert, tard dans la nuit.