On a frôlé ce samedi le naufrage médiatique en direct à la télévision. Abdallah Dionne a tutoyé ce jour-là, lors de sa conférence de presse, le niveau zéro de la communication. La mine aussi sombre que son costume, le propos aussi indigent qu’indigeste, le chef du gouvernement a même été pire que sa propre caricature. Et la première question que l’on se pose est qu’est-ce que le soldat Dionne est bien allé faire dans ce fichu bourbier d’Arcelor Mittal et Petro-Tim. Il était bien en mission commando pour servir de bouclier contre les missiles de destruction massive de Wade qui à chaque lancement, enfoncent un peu plus, les lignes de défense de la forteresse Sall. Sur réquisition présidentielle, le chef de régiment Dionne est donc monté au front. Objectif: exfiltrer le capitaine Macky et le caporal Alioune de l’étau Wade-Mittal-Petro Tim qui est entrain de dangereusement se refermer autour du Président et de certains membres de son gouvernement. Mais seulement voilà, le soldat Dionne n’avait ni les armes encore moins les munitions nécessaires pour une aussi délicate opération d’exfiltration. Résultat, sa manœuvre de desperados a transformé depuis samedi, les dossiers Mittal et Petro Tim en une véritable « affaire d’État. »
Le Premier ministre n’a pas convaincu
Peu outillé et mal préparé à ce genre d’exercice, Abdallah Dionne a échoué à convaincre. Il n’a pas répondu à la principale interrogation des sénégalais à savoir quels étaient les termes des contrats entre l’État du Sénégal, Arcelor Mittal et Petro Tim. Pourquoi son gouvernement tarde-t-il encore aujourd’hui à publier l’ensemble des documents relatifs à ces transactions. En lieu et place, le Premier ministre nous a enivré de déclarations à l’emporte-pièce et d’explications ténébreuses qui n’ont apporté absolument rien de nouveau, sauf à trahir une peur panique générale qui semble s’être emparée du plus haut sommet de l’État. Sans parler des menaces de procédure judiciaire brandies par le Premier ministre contre Abdoulaye Wade et qui pourraient déclencher à travers le pays, un torrent émotionnel et une vague d’indignation aux conséquences politiques et sociales incalculables.
Alors il a beau être respectable et téméraire Monsieur Dionne, mais sa torture télévisée de samedi et la vacuité confondante de son argumentaire n’ont pas fait bouger les lignes du scepticisme d’une grande partie de l’opinion publique. L’hystérie collective qui s’est emparée du gouvernement depuis les « révélations » de Wade a plutôt renforcé le doute chez les sénégalais dont la grande majorité demeure foncièrement convaincus qu’on ne lui dit pas toute la vérité sur les dossiers Mittal et Petro-Tim. Alors le pouvoir aurait-il tant de choses à « mackyer » au point de faire diversion en organisant précipitamment une conférence de presse retransmise en direct devant des dizaines de caméras.
Tant de gesticulation pour un aussi piètre résultat. Macky Sall confiait récemment qu’il « est si entouré mais si seul. » Il ne croyait certainement pas si bien dire. Car pour le coup, avec l’inopportune et désastreuse sortie médiatique du Premier ministre, ses communicants lui ont scié encore un peu plus, ce qui lui reste de branches pour s’asseoir et asseoir une légitimité politique déjà bien mal en point.
Une grossière erreur de communication
L’idée d’une conférence de presse en direct à la télévision, un samedi matin, devant un parterre de diplomates était une grossière erreur de communication qui n’aura fait que renforcer l’idée d’un pouvoir en totale perdition sur les affaires Mittal et Petro-Tim. A vouloir trop mettre en scène une « vérité d’État, » les « spin doctors » du Palais ont réussi à transformer de simples accusations en un potentiel scandale d’Etat en déclenchant le feu nucléaire médiatique avec cette désastreuse conférence de presse alors qu’une simple riposte graduée aurait suffi.
Alors que dire du choix du taciturne et placide Abdallah Dionne: une erreur manifeste de casting. Tout le monde savait que le Premier ministre n’avait ni le profil de l’emploi, ni l’envergure médiatique pour servir de bouclier politique au Président de la république. Quant à la géographie du placement des ministres, quelle belle gaffe que d’avoir placé Abdou Latif Coulibaly dont l’image ne passe plus dans l’opinion, aux côtés du Premier ministre. Tous les germes d’un fiasco annoncé.
C’est l’autre quadrature du cercle d’un régime qui a tout ou presque misé sur l’optimisation médiatique mais avec de mauvais communicants et de piètres communicateurs. Malgré les faveurs d’une certaine presse et de quelques marchands ambulants d’articles, grassement entretenus par le Palais pour réciter pieusement les versets médiatiques et erratiques de leur ami le Président, la communication de Macky Sall n’a jamais été aussi calamiteuse.
Un risque de faillite politique et morale pour Macky Sall
Une chose est sûre. Cette double affaire Petro-Mittal, est en train de faire dangereusement sombrer le Président en dessous de la ligne de flottaison morale. Lui qui s’était auto proclamé apôtre de l’éthique républicaine et parangon de la gouvernance vertueuse. Sa promesse d’une république exemplaire devait être le marqueur de la mandature Sall, mais la voici aujourd’hui rudement mis à l’épreuve par les gravissimes accusations de Abdoulaye Wade qui, si elles s’avèrent exactes, sont d’une extrême gravité. Elles consacreraient la faillite politique et morale de tout un régime et renverraient l’image d’une République prise en otage par une clique d’affairistes.
Plus grave encore pour Macky Sall, l’implication directe de son propre frère dans le dossier Petro Tim, met le Président de la république dans une posture plus qu’inconfortable et relance au plus mauvais moment, le récurrent débat sur le taux de consanguinité exorbitant dans sa gestion des affaires publiques avec la présence hégémonique de sa famille et de sa belle-famille au sommet de l’Etat. Mais il ne s’agit ici nullement de jeter un quelconque opprobre sur l’entourage familial du Chef de l’Etat ou sur sa femme Marième Faye, souvent victime d’attaques que rien ou presque ne pourrait et ne saurait justifier.
Alors qui mieux que le Président de la République en personne pour s’expliquer sur tous ces dossiers, défendre sa propre famille et répondre aux accusations de son prédécesseur. Personne d’autre que lui-même n’est le mieux placé pour le sortir de ce bourbier dans lequel il s’est englué ou s’est laissé lourdement englué. Mais seulement voilà, même pour Macky Sall, l’opération n’est pas sans risque. A force d’être impopulaire, le Chef de l’Etat est devenu inaudible. Le charme « mackysard » n’opère plus depuis belle lurette. Et aucun activisme médiatique fut-il présidentiel, ne saurait neutraliser la défiance des sénégalais de plus en plus enclins à penser qu’avec les affaires Arcelor Mittal et Petro Tim, ce n’est plus qu’il y a de la pourriture au cœur de la République mais que c’est toute la République qui ne serait que pourriture.
Malick SY
Journaliste