Général Amadou Bélal Ly, Le dernier mot. Tel est le titre de l’ouvrage de Mouhamed Abdallah Ly. Préfacé par le Général Lamine Cissé, ce livre dont le lancement est prévu ce samedi retrace la vie de l’ancien aide de camp du président Senghor, Général Amadou Bélal Ly. De son enfance, lui le talibé, l’enfant de troupe, le tirailleur dans l’armée française, le préfet, le gouverneur, l’ambassadeur…Nous vous offrons quelques bonnes feuilles de ce livre édité par les Presses universitaires de Dakar (Pud). A travers l’extrait que nous vous proposons, le Général Amadou Bélal Ly nous fait revivre sous un nouveau regard les évènements de 1962.
«Bélal Ly, un ‘Pompier’ de la République»
«Après l’éclatement de la Fédération du Mali, Modibo Keïta est parti avec ses hommes dont le Général Soumaré, un Saint-Louisien pourtant ; il sera d’ailleurs en- terré à Saint-Louis. Mais il a rejoint Modibo qui en a fait le Chef d’état major de l’armée malienne. Le Général Amadou Fall, un autre Saint-Louisien, soit dit en passant, Chef d’état-major de l’armée sénégalaise, m’a appelé pour me dire ceci : «Ly, préparez- vous à prendre les fonctions d’aide de camp du Président Senghor». J’ai immédiatement dit «non». Je me souviens lui avoir dit : «Je ne suis pas fait pour ça moi».
Suite à notre conversation, il est allé voir le Président et lui a relaté cela, à savoir que j’étais un baroudeur et qu’il valait mieux pour me met- tre à l’aise me choisir un autre endroit d’af- fectation. Ils m’ont créé une Compagnie à Tambacounda. Nous étions en août mille neuf cent soixante (1960) et à l’époque, Tambacounda n’avait pas de camp militaire. J’ai été envoyé là-bas, avec ma compagnie par train, pour surveiller la frontière.
Quand je suis arrivé donc à Tamba, il n’y avait rien du tout. Il n’y avait même pas une brique ! Alors, je suis allé trouver le Gouvernement de l’époque qui se trouvait être un ami, Babacar Bâ. C’était un homme très, très bien. Que Dieu ait pitié de son âme ! Il fut ministre des Finances du Sénégal et en même temps Directeur de cabinet du Prési- dent Mamadou Dia pendant les évène- ments de mille neuf cent soixante deux (1962). Il m’a très bien reçu. Il m’a aidé à m’installer dans une maison. Mais avant cela mes hommes et moi, nous dûmes dormir dans un abri qui appartient à l’ON- CAD, un gîte où il y avait d’ailleurs des fongicides qui auraient pu nuire à notre santé. Il faisait excessivement chaud à Tam- bacounda. Et c’est dans ces températures caniculaires que nous avons petit à petit construit le camp militaire, avec l’aide du Génie militaire et du Chef de section des travaux publics.
Nous avons délimité l’e- space puis déraciné des arbres, désherbé, nettoyé et enfin construit le camp. J’ai en- cadré tout ce processus jusqu’à la réparti- tion des chambres et des villas. Je suis resté deux ans à Tambacounda de mille neuf cent soixante à mille neuf cent deux (1960- 1962). Du coup, en début octobre mille neuf cent soixante deux (1962), j’étais avec ma compagnie à Tamba. Cette fois-ci, c’est le Commandant Jean-Alfred Diallo qui est venu me dire qu’il fallait que je rejoigne le Palais. J’étais une fois de plus réticent mais face à son insistance, j’ai fini par abdiquer. Babacar Bâ aussi avait rejoint Dakar pour occuper les fonctions de Directeur de cab- inet du Président Dia. Il y avait un autre chassé-croisé. Je suis venu au Palais pour être l’aide de camp du Président Senghor tandis qu’Idrissa Fall était nommé à Bakel, je crois.
«J’ai regagné le Palais au moment où le pays s’enflammait»
Quand je me suis rendu au Palais pour oc- cuper mes nouvelles fonctions, c’était là ma première rencontre avec le Président Sen- ghor. Je me suis présenté aux gendarmes qui m’ont conduit dans ses appartements. Il est venu vers moi : «Ah c’est vous le Cap- itaine, Ly ? Vous êtes mon nouveau aide de camp !» Je lui ai carrément dit que c’était ce qui m’était annoncé mais que je n’y étais pas très favorable. Il m’a dit : «Oh non Cap- itaine, vous allez voir, vous serez à l’aise ici». Je ne me doutais pas à cet instant que des problèmes énormes m’attendaient.
Mais dans les jours qui suivent, je me suis rendu compte que j’ai regagné le Palais au moment où le pays s’enflammait. Il y avait une tension politique palpable. Des réu- nions se tenaient tous les soirs. Ça com- mençait vers dix-huit heures pour ne finir qu’à cinq heures du matin. Les hommes politiques s’engueulaient. Ils tapaient sur les tables et s’invectivaient. Une atmosphère incroyable ! C’est dans ces conditions dé- solantes et pénibles que j’ai rejoint le Palais comme aide de camp. C’est vous dire dans quel climat délétère j’ai travaillé en ce mo- ment là. Je suis l’aide de camp du Président et voilà que dans des réunions où il se trouve, on tape sur les tables, on s’invec- tive… C’était pénible pour moi ! En tant que militaire, j’avais jusqu’ici travaillé dans des situations de conflit et d’extrême tension mais la discipline, le respect de l’autorité, régnaient tout de même.
«J’ai mis Senghor dans une chambre de passage. Dieu est mon témoin ! Pendant huit jours»
Mais j’ai tenu jusqu’au moment où, le dix- sept décembre mille neuf cent soixante deux (1962), les choses se sont définitive- ment envenimées et ont atteint un point de non retour. J’ai mis Senghor dans une chambre de passage. Dieu est mon té- moin ! Pendant huit jours, je l’ai enfermé dans une chambre de passage au premier étage du Palais et les clés étaient dans ma poche, jours et nuit. Personne ne savait où je l’avais gardé. Dieu seul savait. Et c’est moi qui faisais tous les déplacements pour établir les contacts et les liaisons avec les militaires, avec les civils, avec tout le monde.
Je quittais le Palais pour me rendre au camp Dial Diop, à la gendarmerie, à la police, au Commissariat Central, etc. D’ailleurs, face à l’urgence, je prenais sou- vent les sens interdits. Une fois, le Prési- dent m’a dit : «Ly ne sortez pas ! Si vous sortez on va vous arrêter». Il exprimait ainsi son souhait de me voir déléguer les liaisons à d’autres pour des raisons de sécurité. Mais je lui ai répondu : «Monsieur le Prési- dent, si je ne sors pas, on va tous nous ar- rêter. Il vaut mieux qu’on m’arrête, seul. Ce serait plus grave si nous venions à être ar- rêter tous les deux». Alors, il s’est résigné : «Ah ! Bon ! Alors, faites comme bon vous semble !».
J’ai continué mes démarches, mes contacts et tout. Je suis allé voir le Chef d’état-major, le Général Amadou Fall. Je lui ai dit : «Il vous faut venir voir le Prési- dent». Il m’a répondu : «Non, je ne viens pas !». Il avait été réfractaire à d’autres sol- licitations d’ailleurs. J’en ai tiré la conclusion qu’il avait choisi l’autre camp. Alors je suis revenu dire au Président Senghor, «Mettez soixante jours d’arrêt de forteresse au Général Fall». Ça, c’est moi qui l’ai dit, je l’assume. Je le répéterai dans ma tombe. «Mettez-lui soixante jours d’arrêt de forter- esse», j’ai dit, parce que la situation était fort préoccupante.
Il fallait faire vite. J’ai donc demandé à ce que le Général Fall reçoive soixante jours d’arrêt de forteresse, à passer à Gorée. J’ai dit au Président : «Préparez les décrets ! Je vais remettre personnellement à Fall le document et vous nommerez Jean Alfred Diallo Chef d’état- major de l’armée sénégalaise». Il faut savoir que Jean Alfred Diallo était à cette époque le seul Commandant, après Amadou Fall, de toute l’armée sénégalaise. Celle-ci n’avait même pas de Colonel, à cette époque. Le seul Commandant présent, c’était Diallo. J’ai proposé à Senghor de le nommer Chef d’état-major. Senghor a suivi ma suggestion. J’ai pris le décret destituant le Général Fall et je suis allé à Dial Diop et je lui ai dit : «Vous êtes destitué ! Vous serez mis aux arrêts pendant soixante jours à Gorée. La Chaloupe vous attend au Mole 8 ce soir à dix-sept heures trente. Venez en civil. Soyez sans arme et venez sans votre aide de camp !».
Je lui ai fait un grand salut et je suis parti. Je me souviens du regard de Doucouré, le Commissaire central, qui était présent, et de ce qu’il m’a dit : «Mais Ly vous êtes vraiment courageux ! Comment ! Un Capitaine qui ose dire ça à un Général !». «Je ne fais que mon travail», je lui ai répondu. Un peu avant 17h30 je me suis rendu au Mole 8. Le Général Fall s’est présenté dans le respect des consignes. J’ai fait les vérifications nécessaires. Et je suis parti à Gorée. J’ai fait venir des of- ficiers de la gendarmerie, de la nourriture, de l’eau… Avec la sécurité, on a refait les barbelés. Je leur ai parlé en militaire : «Voilà, il est entre vos mains ! S’il disparaît, je vous coupe la tête à tous».
Puis, je suis rentré au Palais. Je suis allé voir le Prési- dent et je lui ai dit : «Voilà, je vais gérer la forteresse. Maintenant, je vais faire appeler pour vous, Jean Alfred Diallo, le nouveau chef d’état major». Je suis allé dire à Di- allo : «Venez voir le Président !» Il est venu ; nous nous sommes rendus au Palais immédiatement d’ailleurs. Le Président lui a donné des consignes. Il a dit : «D’accord !». Il a salué puis il a voulu partir. Je lui ai dit : «Non ! Allons là bas». Nous sommes allés en bas le Général et moi. Je lui ai demandé de faire une déclaration à la radio en com- pagnie des Commandants. Il a jugé ma proposition pertinente. Nous avons rédigé le speech et nous sommes allés à la radio. Il a lu le papier et puis il m’a dit : «Vous pou- vez retourner au Palais ! Moi je retourne au camp !». Ce que j’ai fait. Je suis retourné au Palais.
Senghor : «Si on m’arrête, ne tirez pas !»
Et le lendemain, il fallait voir l’effervescence qu’il y avait. Il devait y avoir une réunion à l’Assemblée nationale. Je suis sorti du Palais avec le Président Senghor et son chauffeur Sidy Ndiaye. En cours de route, Senghor m’a enjoint un ordre : «Ly !», je répondis : «Oui Monsieur le Président». Il m’a dit : «Si on m’arrête, ne tirez pas !». J’ai dit : «Monsieur le Président, on ne vous ar- rêtera pas s’il plait à Dieu». Plus tard, j’ap- prenais que nous devions être arrêtés. Les deux cellules qui devaient nous accueillir étaient préparées.
Les véhicules qui de- vaient nous amener à l’aéroport militaire de Yoff se trouvaient en bas de l’Assemblée nationale. Arrivés à l’hémicycle, j’ai fait garer les deux motards de tête, puis j’ai aux motards : «Restez sur vos motos !». Puis à Sidy Ndiaye j’ai dit : «Laisse le moteur tourner et reste là, ne bouge pas ! Ouvre une portière pour le Président Senghor et ouvre une autre portière pour moi. Si je con- state quelque chose d’étrange, je retourn- erai sur mes pas, je ferai demi-tour».
Dès que nous sommes entrés à l’Assemblée na- tionale, nous avons vu que l’ascenseur qui était en principe automatique, n’était plus automatique. C’est-à-dire que l’ouverture était manuelle. C’est des huissiers qui se chargeaient d’ouvrir et de fermer les bat- tants de la porte. Puis, avec le coup d’œil d’un aide de camp, j’ai jeté un regard au pre- mier étage et je n’ai rien vu du tout ; ce qui était également inhabituel. J’ai reculé un peu et au deuxième étage j’ai aperçu des gendarmes en tenue. Devant autant de choses qui m’ont intriqué et alerté, j’ai dit au Président : «Non, retournons au Palais ! Ne montez pas !». Je l’ai pris par la main et il m’a suivi. Je l’ai escorté jusque dans la voiture. J’ai fait fermer les portes et j’ai dit aux motards : «Direction le Palais !».
Nous sommes ainsi retournés au Palais. J’ai bouclé le Palais entièrement de A à Z. Là où je mettais un gendarme, j’en ai mis trois. Là où je donnais cinq cartouches, j’en ai donné cent cinquante. J’ai pris un ravitaillement pour quinze jours. J’ai même pris des lam- pes torches qui étaient plus éclairées que les lampes habituelles. Avec tout ceci, je savais que nous pouvions tenir au Palais pendant quinze jours. Il y avait du monde au Palais quand nous y sommes retournés : des ministres, le Secrétaire d’Etat, etc. J’ai pris sur moi de mettre tout ce beau monde à la porte. J’ai bouclé le Palais. J’ai mis le Président Senghor dans une chambre de passage. J’ai fait appeler un serrurier qui a changé les verrous de la porte. J’ai gardé les nouvelles clés sur moi.
Après ça, le Président m’a dit : «Bon Ly qu’est ce qu’il faut faire à présent ?». Je lui ai répondu : «Monsieur le Président, soyez tranquille. Ce qu’il faudrait faire maintenant c’est de trouver le Procurer Général de la République pour qu’il vous délivre un papier comme quoi on va les arrête. En tout cas, c’est la solution». Il m’a dit : «Oh, c’est une bonne idée !» et il a fait appeler le Pro- cureur. On a fait les papiers et on a donné ça à un petit groupe de commandos qui est allé là où se trouve actuellement la Maison de la Culture qui porte le nom de Douta Seck. C’est là où habitait le Premier min- istre. Donc ils ont été arrêtés et conduis à Ouakam.
Quand vous allez à Ouakam, à côté de là où se trouve présentement la Mosquée de la Divinité, il y a encore un bâ- timent avec des barbelés tout autour ; c’est là-bas qu’on les avait gardés. Ensuite, quelques jours après, une fois que le juge- ment a été fait, on les a envoyés à Bakel. J’ai dit à l’ancien ministre de la Justice «Guillabert, vous vous moquez de nous ?» et j’ai dit au Président Senghor : «Mais comment peuvent-ils les envoyer à Bakel où il n’y a même pas une compagnie de mili- taires ? Il n’y a que quatre gendarmes seule- ment là-bas. Un petit Commando peut venir par le fleuve, traverser avec une pirogue et les récupérer». Il me dit : «Ah oui, vous avez raison ! Appelez-moi Guillabert !». Guillabert est venu et c’est ainsi qu’on les a transférés à Kédougou. (À suivre)